La décision qui fait peur

Maylis
6 min readMar 6, 2024

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Un jour d’avril 2010, on s’est rencontré. Un mardi d’août 2011, on s’est installé ensemble. Un mercredi de décembre 2015, on s’est fiancé. Un vendredi de juillet 2016, on s’est marié. Un vendredi de septembre 2017, on est devenu parents de deux petites filles. Un jeudi de mars 2022, on s’est séparé. Comme ça, en une micro seconde, douze ans de ma vie ont pris fin.

Quand on partage douze ans de sa vie avec quelqu’un, qu’on se marie, qu’on devient parents, on ne s’attend pas à ce que ça s’arrête. Il y a des hauts et des bas mais on pense toujours qu’on s’en sortira. On trouve toujours des circonstances atténuantes. On est fatigué à cause du boulot. Les enfants nous empêchent de dormir la nuit. Mais ça va aller. Demain, la semaine prochaine, le mois prochain, l’année prochaine, ça ira mieux. Mais le mieux ne vient pas. On se dit qu’on va faire des efforts. Ce que personne ne fait. Jusqu’au jour où on s’assoit, on se regarde et on se rend compte qu’on s’est perdu. Depuis longtemps déjà. On arrête de se mentir à nous-même. Et la décision se prend d’elle-même. Cette décision qui brûle, qui fait peur, qui arrache le peu de certitudes qu’on avait. Cette décision qu’on regrettera parfois. Et si… on avait été plus honnête. Et si… on s’était moins arrangé avec la vérité. Et si… on pouvait faire mieux. Mais avec des “si” on met Paris en bouteille comme on dit.

Quitter quelqu’un qu’on a aimé, le père de ses enfants, douze ans de vie, c’est violent. Ça demande de se faire confiance. Se souvenir que si on a pris cette décision à un instant T, il y avait des raisons. Aussi réfractaire au changement que le cerveau soit, il va essayer de nous piéger en ne se souvenant que de ce qui valait la peine. Il va aussi faire preuve de beaucoup de créativité pour essayer de nous éloigner du changement qui fait peur. Mais ne vous fiez pas à ce petit sacripan manipulateur. Il est tellement réfractaire que j’ai mis plus d’un an à ne plus prendre le chemin qui passe devant mon ancien appartement pour rentrer chez moi. Un jour j’ai réalisé que ce n’était pas le chemin le plus court. Je le prenais par habitude. J’ai continué encore quelques semaines puis un jour j’ai changé. Je ne l’ai jamais repris. J’ai formé une nouvelle habitude.

Se séparer c’est aussi se donner l’occasion de faire le point. Dans beaucoup de couples, une certaine routine s’installe. Surtout quand on a des enfants. Surtout quand on a des enfants petits. Il y a l’école, les activités, le boulot, les baby-sitters qui coûtent chers, les vacances avec la famille pour espérer souffler un peu. C’est très facile de se perdre dans son rôle de parents. De s’oublier en tant que couple. Mais aussi de s’oublier en tant que personne. On se retrouve seule tout à coup, sans l’autre qui avait fusionné dans notre vie. On questionne tous ses choix et on se rend compte qu’on faisait beaucoup de choses par habitude. On se rend compte qu’on a arrêté d’écouter la musique qu’on aimait avant de se rencontrer. Qu’on partait en vacances avec des gens qu’on est même pas sûr d’aimer vraiment et qui ne reprendront plus jamais de nouvelles de vous une fois que vous n’êtes plus la “femme de”.

Quand tu te sépares après une longue relation, les réactions sont souvent les mêmes. Les gens sont choqués. “Mais non, c’est pas vrai !” puis on te demande toujours pourquoi. Comme s’il y avait forcément UNE raison rationnelle qui explique que deux personne qui s’aiment depuis douze ans ne s’aiment plus. Ou en tous cas ne se rendent plus heureuses. Quand tu tombes amoureux on ne te demande jamais pourquoi. Alors que parfois ça ne nous ferait pas de mal de questionner un peu plus les relations naissantes. Ce qu’on y trouve. Si elles comblent nos besoins. On se séparerait peut-être moins. Puis une fois que tu as as dû te justifier, on finit par te demander si “quand même t’es vraiment sûre ?”. Parce que bon “ça avait pas l’air d’aller si mal”. “Puis les enfants ? Tu y as pensé aux enfants ?”. Ah non non je me suis levée un matin et sur un coup de tête je me suis dit “ciao les nazes”. Je ne sais pas s’il existe une question plus débile que celle-là. Et pourtant on te la pose souvent. D’ailleurs ceux qui la pose seraient surpris d’apprendre que c’est justement en pensant à mes enfants que je suis partie. J’ai deux petites filles. J’ai énormément culpabilisé à l’idée d’abîmer leur cellule familiale. Ça m’a beaucoup retenu. Mais un jour j’ai réalisé que si l’une de mes filles, dans ma situation, était venue me demander conseil, je lui aurais dit de partir. Ça a été une réelle libération. Une fierté aussi. D’avoir le courage de faire ce que je leur apprends. Qu’elles n’appartiennent à personne d’autres qu’elles-même. Qu’elles ont droit de changer d’avis. Ce que les enfants retiennent ce sont les actions, les exemples, ce que nous sommes en tant qu’individus. Ça ne sert à rien de leur tenir des grands discours féministes si à la maison c’est maman qui fait la cuisine tous les jours et qui s’occupe des enfants. Ils n’auront rien retenu des discours et auront intégré que ce sont les mamans qui s’occupent des autres. J’ai donc lutté avec force contre ma culpabilité récalcitrante. Je me suis souvent répété deux choses entendues dans la bouche de deux psys. “Ce qui traumatise les enfants c’est la violence et les conflits pas les séparations” et “il vaut mieux des parents heureux que des parents ensemble”.

Il faut du temps pour s’habituer à sa nouvelle vie. Vivre seule. Avec ses enfants la moitié du temps. Avec soi-même, le reste. Avec soi-même, ses névroses, ses blessures, ses peurs. C’est dur parfois. On pleure. Beaucoup. J’ai regardé les photos de ces douze années passées. Trop. J’ai vu une psy. Souvent. J’ai essayé de digérer tout ça. Tant bien que mal. Puis chaque jour, le temps où l’on se sent bien grignote quelques minuscules secondes sur celui où l’on se sent mal. Et sans m’en apercevoir, j’ai commencé à aller mieux. Parce que vivre un quotidien dans lequel on ne se sent plus chez soi c’est épuisant. J’ai commencé à prendre du plaisir pendant le temps où j’étais seule. J’ai arrêté de ne faire qu’attendre impatiemment que les filles reviennent. Je suis allée voir mes amis que je n’avais pas souvent le temps de voir avant. J’ai commencé à rencontrer des gens. Je ne me sentais vraiment pas du tout prête à me remettre avec quelqu’un. Mais j’avais une pulsion de vie qui me donnait envie d’explorer les possibilités. Je suis sortie. J’ai trop bu. J’ai regretté, parce que soyons honnête à 35 ans c’est plus douloureux qu’à 20. J’ai vécu mes expériences. J’en ai aimé certaines. D’autres pas. Mais au moins j’avais la certitude que mes choix, bons comme mauvais, ne revenaient qu’à moi.

J’ai questionné mille fois cette décision. Mon ex-mari avait tant de choses pour lui que ça m’a pris un temps infini avant d’arrêter de changer d’avis. Quitter quelqu’un que l’on aime mais qui ne nous convient pas n’est pas simple. Surtout quand il y a : des enfants, un appartement, un mariage. Ça pue la défaite. Ça pue les mauvaises décisions. Ça pue le “pourquoi les autres y arrivent et pas moi ?”. Pourquoi suis-je là à attendre que quelque chose me sauve de ma léthargie pendant que les autres vivent leur meilleure vie ? Pourquoi j’ai des pensées suicidaires parfois quand je passe sur le pont à vélo en rentrant du travail ? La seule chose dont j’avais besoin à la fin, c’était du courage. On regrette rarement de prendre les décisions auxquelles on pense sans cesse mais qui font trop peur. C’est beaucoup plus simple qu’on ne le pense. Il faut juste le faire. Et aucun “oui mais” ne justifie de passer à côté de sa propre vie.

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