Le coeur des enfants

Maylis
5 min readJan 31, 2022

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Pourquoi les adultes ne prennent pas les histoires de coeur des enfants au sérieux? Comme si leur coeur miniature n’était capable que d’émotions et de sentiments miniatures eux-aussi.

Quand j’avais onze ans, je m’asseyais toujours sur le même banc dans la cour du collège, le banc du bâtiment de sciences. Et je m’asseyais toujours avec le même garçon. On regardait la vie se faire sous nos yeux et on critiquait tout le monde. Une twittos avant l’heure en somme. On restait là assis, à chaque récréation à juste être heureux d’être ensemble. On avait des petits rituels. Il avait pris l’habitude de m’appeler tous les soirs sur le téléphone fixe de chez moi pour me demander si on avait des devoirs à faire. Sauf que je n’étais pas très rigoureuse dans mon travail donc ça finissait invariablement par lui me dictant les devoirs à faire. Devoirs que je ne faisais jamais et copiais sur lui à la récré le jour suivant. En tous cas, je me suis mise à minutieusement ne jamais écrire mes devoirs pour lui donner une bonne raison de m’appeler tous les soirs. On est passé en cinquième, on avait douze ans, on ne connaissait rien de l’amour, c’était mon meilleur ami, la personne avec qui je voulais être le plus souvent possible et à qui je pensais encore plus souvent. Je ne me posais aucune question sur la signification de ce que je ressentais à son égard, c’était juste là. Puis la puberté, les gens “cools” du collège se mettait en “couple”. Nous, on n’était pas cools mais à cet âge tu veux juste avoir un sentiment d’appartenance, avoir une place sociale. Alors un jour, une fille de notre classe est venue me demander si je voulais être “en couple” avec lui. Je n’ai pas compris pourquoi cette fille venait me demander quelque chose de sa part alors qu’on trainait ensemble toute la journée. Je n’ai pas non plus trop compris ce que ça signifierait car pour moi les “couples” c’était ceux qui se roulaient des pelles sur le banc caché au fond du préau et non j’avais pas trop envie de faire ça. Alors j’ai rien dit. Ni non, ni oui. Mais vous savez comme le soir, on est toujours plus téméraire. J’ai décidé de lui faire une enveloppe avec écrit oui dedans. J’ai dessiné puis découpé des grandes lettres géantes, un O, un U et un I. J’ai mis l’enveloppe dans mon sac à dos puis je ne lui ai jamais donnée. Mais je crois qu’on s’était compris quand même parce qu’on a continué à faire tout pareil. J’ai été au cinéma sans mes parents pour la première fois avec lui voir La Menace Fantôme, je me rappelle encore de l’excitation, je me rappelle même comment j’étais habillée tellement j’y avais réfléchi. J’avais mis une salopette avec des nounours jaune qui me donnait l’air d’avoir huit ans mais apparemment pour moi c’était le summum de la hype.

Puis, à la fin de la 5ème, mes parents ont eu la bonne idée de déménager. Ça a brisé mon coeur autant que le sien je crois sauf qu’à douze ans, ce n’est pas facile d’appréhender des sentiments qui nous dépassent et dont on ne connait rien et de gérer cette frustration. Il m’en a beaucoup voulu, comme si c’était de ma faute. Comme si c’était moi qui avais choisi de partir. Malgré tout avec le temps on a repris contact, on s’écrivait des lettres au début. Puis on a eu des portables et on s’envoyait des sms. J’ai utilisé tout mon argent de poche pendant de longs mois pour rembourser le hors forfait que je faisais en lui envoyant des textos. Ma mère avait fini par enfermer mon téléphone dans le tiroir de la cuisine. Un jour, par la chance du hasard, on s’est retrouvé en vacances au même endroit au même moment. On a beaucoup trainé ensemble, on discutait sans vraiment réussir à se dire ce qu’on voulait se dire. Puis un soir, après une autre après-midi à trainer, j’allais partir, il m’a attrapé le poignet m’a tiré vers lui et m’a embrassé. J’avais 14ans et c’est la première fois de ma vie que j’embrassais quelqu’un. Je me rappelle encore où ça s’est passé exactement et la sensation que ça m’a fait ressentir.

On habitait à 600 kilomètres l’un de l’autre, on avait 14ans, on se voyait parfois mais pas souvent. Evidemment le temps a fait son oeuvre, on s’en voulait chacun de ne pas réussir à s’attendre alors on a dit et fait des choses qu’on a regretté. On a fini par vivre notre vie et nos expériences adolescentes chacun de son côté. Mais malgré tout on ne s’est pas vraiment oublié puisqu’après le bac, un deuxième coup du hasard a fait qu’on s’est retrouvé à étudier dans la même ville. On a vécu alors une relation de pré-adulte extrêmement chaotique qui était aussi absolue que les sentiments qu’on ressentait depuis tout ce temps mais aussi impossible car remplie de tous les bagages de ce qu’on avait vécu avant. Ça a duré longtemps en étant tout et rien à la fois, on a continué à s’aimer pendant un moment sans jamais réussir à se le dire cette fois non plus. On s’est fait souffrir pour ça. On s’en ai voulu pour ça. Puis un jour, on a abandonné l’idée d’y arriver, on a baissé les bras et on a vécu notre vie sans les entraves des sentiments qu’on avait l’un pour l’autre.

J’ai trente-quatre ans et je rêve encore occasionnellement de lui. Je suis triste parfois de ne plus savoir qui il est, ce qu’il devient car il fait partie des personnes les plus importantes de ma vie. Celles qui ont façonné la personne que je suis aujourd’hui. D’une façon, j’aimerais toujours ce qu’il a été pour moi et j’aimerais parfois lui raconter qui je suis devenue sans lui, lui dire que je pense à lui souvent et qu’il me manque parfois. Mais en même temps, à quoi bon, il faut aussi savoir faire son deuil. Quand un enfant a des peines de coeur les adultes ont souvent tendance à traiter ça avec légèreté. “Ne t’en fais pas ça va passer” “Allez c’est rien de grave”. Ce qui en soit est vrai comme c’est vrai pour les adultes. Mais je crois que c’est une erreur de penser que parce que leur coeur est plus petit, il n’est pas capable d’expérimenter de grands sentiments. Même s’il ne revêt pas la même signification que l’amour adulte car il est dénué de corps, ce qui d’ailleurs le rend peut-être encore plus pur, l’amour enfantin peut lui aussi être passionné. Mes filles n’ont que quatre ans mais je sais déjà que le jour où elles vivront un chagrin d’amour mon coeur de maman sera brisé en mille lui aussi car quelque soit son âge l’absolutisme est inhérent au sentiment amoureux. Je sais d’expérience que tout passe et que le coeur est un muscle qui cicatrise de tout. Mais la première fois, ça, on ne le sait pas. Je n’ai pas envie de laisser filer ces souvenirs car ils font partie de moi, de l’enfant que j’étais qui vit toujours dans l’adulte que je suis.

Quoi qu’il en soit c’est précieux comme sentiment d’être amoureux, ça fait souffrir aussi parfois que l’on ait 9 ou 99ans.

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