
L’autre jour dans mes mentions Twitter, une femme a pris le temps de répondre à des #Notallmen qui chouinaient et elle leur a dit que certains hommes étaient même des violeurs sans le savoir. Ils se sont moqués d’elle. Depuis, je n’arrête pas de penser à cet échange et au déni dans lequel les hommes vivent.
En 2006, j’avais 19ans, j’étudiais la danse classique au conservatoire supérieur de Lyon et parfois le week-end je rentrais à Paris pour voir mes amis. Un samedi d’hiver, je suis sortie en boîte avec mes copines et j’ai rencontré un garçon. Je ne me rappelle plus de son prénom aujourd’hui mais je me rappelle qu’il n’était pas très grand, que ses cheveux étaient bouclés et qu’il était looké à la BBrunes avec des slims très moulant. Il a engagé la conversation avec moi, il était drôle et plutôt malin s’en est suivi une conversation plutôt amusante et on s’est retrouvé à parler de politique en hurlant par dessus la musique à 3 heures du matin, c’était marrant. Il m’a demandé mon numéro de téléphone, je lui ai donné et la soirée s’est terminée là. Quelques jours plus tard, il me donne rendez-vous dans un bar couru de la rive gauche. Quand j’arrive je constate qu’il n’est pas seul mais avec deux amis, je ne me démonte pas mais je me retrouve entourée de 3 garçons dont deux que je ne connais pas. Je ne suis pas très rassurée. Ils sont tous issus d’un milieu TRÈS favorisé et ont vis à vis de moi, petite danseuse qui vit en banlieue une condescendance à peine cachée. Leur origine sociale ne leur aura pas appris les bonnes manières puisqu’ils leur arrivent même de parler de moi et de commenter mon physique comme si je n’étais pas là et de façon pas très discrète. Voilà, là j’aurais du me dire quelle belle bande de connards finis, prendre mon sac et me barrer. Sauf que j’avais 19ans, pas trop confiance en moi et que j’étais presque flattée de l’attention qu’ils me portaient. Quelques verres plus tard, il me propose de le raccompagner chez lui. Il n’était pas particulièrement beau mais il avait une assurance et une sorte de panache qui m’attiraient parce que ce sont des choses dont j’étais moi-même totalement dépourvue. Je le raccompagne donc “chez lui”, c’est à dire dans l’immense appartement de ses parents boulevard Saint-Germain. Il y a de véritables tableaux de maitres sur les murs et des caisses de champagne qui trainent dans le couloir (ça a l’air inventé mais je vous assure que c’était la réalité). Il débouche une bouteille de champagne, on boit trop, on discute puis il commence à m’embrasser et ça va un peu plus loin. Je suis consentante bien que très alcoolisée. Puis arrive (rapidement) le moment où je sens qu’il cherche à me pénétrer. Je lui demande s’il a une capote et il me répond que non. Je lui dis que je ne veux pas sans capote. Ça aurait dû en rester là. Mais ça n’était apparemment pas à son goût puisqu’à ce moment là il a purement et simplement introduit son penis dans mon vagin. J’ai été stupéfaite et je n’ai pas réagi. Je suis restée parfaitement immobile à fixer le brouillon original d’un dessin de Picasso qui représentait un taureau suspendu en face de moi. J’ai attendu. Que ce soit fini. Ça a du durer quelques minutes mais ça m’a paru être des heures. Il a éjaculé puis s’est retiré et est parti faire je ne sais quoi. Je suis allée aux toilettes, j’ai remis ma robe, mon manteau, je l’ai remercié (!!!!) et je suis partie.
J’ai descendu les escaliers hagarde, je suis sortie de l’immeuble, la porte s’est refermée derrière moi mais comme il pleuvait, j’y suis restée adossée quelques minutes. Là j’ai senti son sperme couler dans ma culotte et je me suis mise à pleurer. Pas parce que je venais de me faire violer mais parce que j’avais honte de moi. Honte d’être aller chez un garçon que je ne connaissais pas très bien, honte d’avoir trop bu, honte de ne pas m’être défendue. Et je me demandais mais c’est quoi ton problème? Pourquoi tu te comportes comme ça? Je ne me rappelle pas de comment je suis rentrée chez moi.
Je n’ai plus jamais entendu parler de lui après cet épisode par contre j’ai du prendre la pilule du lendemain et aller me faire dépister par la suite. Pendant l’entretien avec le médecin, il m’a demandé pourquoi je me faisais dépister et je lui ai expliqué que j’avais eu une relation non protégé avec quelqu’un que je ne connaissais pas. Ce à quoi il a répondu: “Bah alors Mademoiselle il faut faire attention, c’est pas sérieux ça”. Je me suis sentie encore plus honteuse que ce que je ne l’étais déjà. Et j’ai encore aujourd’hui un souvenir assez précis et angoissant de cette rencontre.
Je n’ai jamais raconté cette histoire à mes copines ni à personne d’autre puisque j’avais honte de mon comportement. Et ça ne m’a pas effleuré une seule seconde que je pouvais porter plainte puisque je n’avais absolument pas conscience d’avoir subi un viol. J’ai trainé cette honte longtemps. J’ai longtemps pensé que j’avais un problème. Que je n’étais pas digne d’être aimée et respectée pour ce que je suis. J’avais déjà des problèmes relationnels qui ont été renforcés par cette expérience.
Il a fallu des années et des témoignages pour me faire réaliser que lorsque notre consentement n’est pas respecté nous ne sommes jamais responsable. Que lui seul était responsable de la violation qu’il m’a fait subir. Je ne me rappelle plus de son prénom, il ne se rappelle probablement même pas de mon existence. Il doit avoir une jolie vie, peut-être qu’il est marié, qu’il a des enfants. Et je suis convaincue qu’il ne se voit pas comme un violeur. Pourtant c’est exactement ce qu’il est.